. volume sonore

Volume Sonore

Un bassin rectangulaire à la surface duquel l’eau ondule mue par une énergie dont on ne connaît pas la source mais dont on soupçonne qu’il pourrait s’agir d’une vibration sonore. Instinctivement, nous établissons un lien entre une ondulation que nous voyons et le son que nous entendons bien qu’ils ne se présentent pas sous la même forme : il est dans le son une chose qui, comme l’eau, nous fait vibrer, nous sentons que nous sommes la matière au sein de laquelle il résonne. Le mouvement qui sculpte la surface de l’eau se reflète dans le spectateur sous la forme d’un son ainsi que sur le mur de la pièce qui s’ouvre à nous, cette fois sous la forme d’une image. Alma fury fait du spectateur le catalyseur d’une confusion des mediumpour mieux rendre compte de ce qu’est la « matière sonore ». À l’intérieur, c’est un nouveau rapport entre l’image et le son qui s’installe alors que persiste l’ondulation. De cette énergie, il nous semble être devenu la seule dimension, nous sommes la matière de son impression. Les chercheurs ont montré que dans la nature le son n’existait pas et qu’il s’agissait en réalité d’une interprétation faite par notre cerveau de signaux ondulatoires.  Du son nous sommes la seule et ultime caisse de résonnance. La science serait-elle une fois de plus en clin à désenchanter notre monde d’un de ses mystères impalpables comme si le son n’avait jamais existé hors notre imagination? Rien n’est moins sûr car dans la mesure où le son n’est pas un élément du monde qui nous parvient, n’est-il pas une manière d’interpréter le monde : le son ne provoque pas la sensation, il est une sensation, il n’est pas le messager, il est le message. Se saisissant de l’exaltation que suscitent de telles considérations, Alma Fury évite de se voiler la face pour mieux dévoiler les sens, en revisitant le statut ontologique du son.

 

Dans un jeu de miroir entre émetteur et récepteur, Alma Fury se sert notamment de signaux générés par un cerveau en situation d’écoute et retranscriptibles sous forme d’ondulations pour créer du son. Il s’agit de rendre sensible l’espace entre la réception du signal et la réaction au signal et d’ouvrir de cette manière les champs de la pensée. Dans une volonté assumée d’un rapprochement des pratiques, Alma Fury pose donc la question du statut du récepteur dans le processus de la mise en substance du son. En effet le spectateur est placé au centre d’un dispositif architectural qui l’engage dans une relation active au son. Car pour interroger le son Alma Fury dépasse cette question et parcourt les chemins de la perception. À l’intérieur du dispositif, l’architecture sonore et la mise en espace nous permettent de traverser le miroir du son pour devenir les responsables de l’interprétation des signaux qui nous sont envoyés. L’expression populaire veut que la musique nous fasse vibrer mais nous comprenons grâce à l’expérience qu’autorise le dispositif que c’est nous qui faisons vibrer la musique. Sans instrumentaliser le spectateur Alma Fury se fait l’instrumentiste de ses perceptions. Dans la réflexion qu’ils engagent ainsi que dans l’expérience qu’ils rendent possible, le collectif  Alma Fury révèle que l’écoute est une activité qui transforme ce qui nous entoure ainsi que la sensation que nous en avons. Peut-être dans la nature n’y a-t-il pas de son mais, dans l’installation d’Alma Fury, c’est certain, il y a quelqu’un qui écoute.

 

Bien sûr le corps n’a pas pour seule vocation d’écouter, il voit l’image et ressent l’espace. Par une mise en scène de l’écho qui traverse les différents medium Alma Fury montre que le son s’inscrit dans un dialogue des sens dont nous sommes les modérateurs. C’est donc le jeu de l’interdépendance entre l’univers et le spectateur qui se voit révéler : c’est en nous que le son comme la lumière sur l’eau se reflète, nous sommes une surface qui se meut au rythme de son environnement. Dans cet espace nous avons soudain la sensation qu’au monde nous ne donnons pas corps mais qu’au travers de nous il prend corps, c’est l’ombre qui par l’art est mise en lumière. Nous sommes le reflet du monde car le monde nous réfléchissons, nous sommes le lieu de toute réfle x ion.

 

Mathieu Richard

 

 

 

 

 




Mais comment vas-tu en sortir, entrer dans le monde des autres ? C'est ton problème désormais- si je puis me permettre une suggestion- de trouver le bon équilibre entre le moi que tu connais et monde extérieur. C’est un problème difficile.Mille voix prophétisent le désespoir. La science, disent-elles, a rendu la poésie impossible ; il n’y a aucune poésie dans les automobiles et la TSF. Tout est tumulte éphémère. Il ne peut donc pas exister, jugent ces personnes, de relation entre le poète et l’époque actuelle. Mais ce sont évidemment des sottises. Ces accidents sont superficiels ; ils ne s’enfoncent pas assez loin pour détruire l’instinct le plus profond et le plus primitif, l’instinct du rythme. Tout ce dont tu as besoin à présent, c'est de te tenir à la fenêtre et laisser ton sens du rythme vibrer et se dilater, hardiment, librement, jusqu'à ce que les choses se mêlent les unes aux autres, jusqu'à ce que les taxis dansent avec les narcisses, jusqu’à ce qu’un tout résulte de ces fragments séparés. Ce que je veux te dire c'est, convoque tout ton courage, exerce toute ta vigilance, appelle tous les dons que la Nature a bien voulu t'accorder.

Laisse ensuite ton sens du rythme serpenter parmi les hommes et les femmes, les omnibus et les moineaux – parmi tout ce qui se présente dans la rue - jusqu’à ce qu’il les ait reliés en un tout harmonieux. Tel peut être ton devoir – trouver la relation entre des choses qui paraissent incompatibles et ont pourtant une affinité mystérieuse, absorber sans peur chaque expérience abordée et la saturer totalment de manière que ton poème soit un tout, pas un fragment ; repenser la vie humaine en termes de poésie.

 

Lire, tu sais, c’est un peu comme ouvrir sa porte à une horde de rebelles qui déferlent en attaquant vingt endroits à la fois, - je me retrouve frappée, rossée, agitée dans les airs de telle sorte que la vie paraît défiler à toute allure.

 

Comment apprendre à écrire si l’on écrit que pour une seule personne ? Pour prendre un exemple évident : comment douter que si Shakespeare a pu connaître chaque mot et chaque syllabe de la langue, il le devait à Hamlet, Falstaff et Cléopâtre qui lui insufflaient ce savoir ? Que les seigneurs, officiers, serviteurs, meurtriers et soldats du rang peuplant ses pièces insistaient pour qu’il traduisît précisément ce qu’ils pensaient …

 

Virginia Woolf  « Lettre à un jeune poète »